* Article paru dans le Bulletin de l'Association de Patients de la Médecine Anthroposophique n°109, juin 2019. Avec l'aimable autorisation de l'APMA.
Le présent article est nourri de la substance de plusieurs conférences et exposés tenus devant divers publics, dont la trame commune est le regard porté sur certains aspects des conditions de vie, tant extérieure qu’intérieure, des personnes progressant en âge et soucieuses de développer une relation juste entre elles-mêmes et le monde.
Docteur Alain Bourdot
Avec l’allongement de la durée de vie dans nos sociétés modernes, la santé des personnes vieillissantes est devenue progressivement une réelle préoccupation en matière de santé publique. Le nombre de personnes âgées (1) s'est en effet accru dans des proportions notables, et cette situation, nouvelle, conduit à poser régulièrement la question du coût social (la consommation de soins et de biens médicaux en 2017, par exemple, a atteint 200,3 Milliards d’Euros ! – Source INSEE), ainsi que celle de la dépendance. À l’heure actuelle, nous avons, en France, dépassé le million de personnes dépendantes.
L’amélioration des conditions sanitaires et du niveau de vie et l'évolution des connaissances médicales ont contribué à la très forte diminution de maladies épidémiques ravageuses et, partant, à cet allongement de la durée de vie (2). Ainsi, si au début du siècle dernier la proportion de personnes âgées de 60 ans ou plus dans la population française n’était que de 13%, en 2018, cette proportion atteint 25%, soit le quart de la population. Et il est prévu que ce pourcentage dépasse les 30% d'ici une douzaine d’années (Source INSEE).
Or prendre de l’âge ne va pas sans un risque de développer des maladies ou des troubles pathologiques. Maladie cancéreuse, cardiovasculaire ou neurodégénérative (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, syndrome dépressif, troubles du sommeil), troubles neurosensoriels (surdités, maladies de l’œil), arthrose et ostéoporose, offrent un panorama représentatif de celles rencontrées le plus fréquemment.
Cette dégradation de nos organismes se vit dans une ambiance paradoxale dans nos contrées où l'on cultive, comme en polarité, l’image idéalisée d'une jeunesse qui se voudrait éternelle. Chacun a ainsi l’ambition de vivre longtemps, le plus longtemps possible, mais personne ne veut devenir « vieux ». Et la mort, dans ce contexte, lorsqu’elle n’est pas reniée, jusqu’à devenir un tabou, la mort devient une maladie. Et de fait, le cadre le plus fréquent de la toute fin de vie est devenu l’hôpital. Quant à la vieillesse, bien des choses sont organisées pour la cacher. Y concourent la mode vestimentaire, la chirurgie, divers types d'activités. Puis, lorsque survient la dépendance, les contacts sociaux habituels s'étiolent et se rompent pour laisser la place à un isolement plus ou moins grand et définitif.
De cela résulte que le regard habituel sur le vieillissement et les particularités du mode de vie des personnes âgées est essentiellement négatif.
À la fin des années 80 du siècle dernier on différenciait trois types de « vieillissement » : le vieillissement pathologique, le vieillissement usuel, et le vieillissement réussi. Mais cette différenciation conduit à poser plusieurs questions : qu’est-ce qu’un vieillissement réussi ? Du point de vue de qui ? Qui, en effet, décide des études sur les personnes âgées ? Qui formule des conclusions à leur sujet ? Évidemment ces études sont conduites par des générations plus jeunes, ce qui influence grandement les conclusions de celles-ci.
Professeur de sociologie à l’Université d’Uppsala en Suède, Lars Tornstam est le premier à tirer les conséquences de ce constat que le vieillissement a le plus souvent été étudié par des personnes qui n’ont pas encore elles-mêmes atteint l’âge de leurs sujets d’étude. De ce fait, elles se trouvent le plus souvent sous l’influence d’un phénomène appelé centrisme lié à l’âge (age centrism) qui les conduit à projeter comme désirables à un âge plus avancé leurs propres valeurs, modes de vie et attentes. L’influence culturelle occidentale évoquée plus haut y est pour beaucoup. Tornstam cherche, lui, à construire une approche plus positive du vieillissement et se donne comme objectif d`accorder plus largement la parole aux personnes âgées.
Il parvient ainsi à un certain nombre de constatations qui lui font découvrir ce qu’il nomme le concept de « gérotranscendance ». Celui-ci ne consiste pas à mettre son existence en retrait par rapport à la vie mais bien plutôt à se réorienter vers une nouvelle perspective et expérience de vie qui pourrait être comprise comme spirituelle.
L’élément principal de ce concept est le développement chez les personnes âgées d’une vie intérieure (ou spirituelle) qui est tout à la fois l’aboutissement d’un processus de maturation biographique et un mécanisme d’adaptation et de défense face aux changements affectant le bien-être physique, l’acuité mentale, le mode et la fréquence des interactions sociales.
Ce concept, cette théorie, de la gérotranscendance est donc une disposition intérieure et sociale stable correspondant au niveau maximum possible de développement spirituel.
Lars Tornstam considère que l’existence humaine peut s’envisager comme une succession de trois attitudes différentes par rapport à la vie. Lors de la première partie de la vie il s'agit surtout d’une activité de découverte du monde et d’intégration dans la société. Au cours de la deuxième partie les expériences conduisent à l’approfondissement de la connaissance de soi. La dernière partie de la vie est consacrée à résoudre les difficultés rencontrées dans le passé et à se préparer à terminer son parcours.
Ce parcours, et les témoignages recueillis, particulièrement dans la dernière partie de la vie, montrent que chez l'être humain existe une prédisposition pour prendre en compte la dimension transcendantale de la vie, ainsi qu’une préoccupation pour le lien entre les générations, la relation entre la vie et la mort et le mystère de la vie.
Le fait de prendre de l’âge conduit progressivement à un changement de paradigme : « Le passage d’une perspective rationnelle et matérialiste à une perspective cosmique et transcendantale croissante » (Lars Tornstam).
La gérotranscendance réalise ainsi l’étape ultime d’une progression naturelle vers la maturité et la sagesse. Cette étape ultime contient en soi une triple dimension :
·
dimension cosmique : modification de perception et de conception du temps, de l’espace, de la vie et de la mort ainsi que sentiment d'une connexion croissante avec l’univers tout entier.
·
dimension du Soi : développement et modification graduelle du soi. Découverte des aspects cachés de sa propre personnalité. Il s’agit par-là de prendre soin de son corps sans pour autant être
obsédé par son vieillissement, et d’assembler les éléments et les étapes de sa propre biographie.
·
dimension des relations individuelles : retrait apparent des seniors de la vie sociale. Il s’agit en fait d’un changement de comportement par redéfinition du sens des relations sociales.
Ces situations sont influencées par un certain nombre de facteurs :
L’ascétisme moderne, qui consiste à se libérer d’un certain nombre de contraintes matérielles pour vivre simplement.
La proximité de la nature, qui favorise la méditation, procure de l’émerveillement.
Les activités artistiques, lesquelles peuvent se limiter à une écoute de diverses musiques ou à la contemplation d'œuvres d`art, mais peuvent aussi être à l’origine d`une créativité dans toute sorte de domaines.
La solitude positive, qui fait se dégager de relations sociales devenues non significatives et ainsi disposer de temps pour méditer, mais aussi, par exemple, écouter de la musique ou lire.
Les crises de vie, comme la mort d’un proche, un accident de santé, qui viennent défier la conception que l’individu a de la réalité, de la place qu’il se sent occuper ainsi que la nature du lien qui l’unit à ses proches.
Pour Lars Tornstam, le processus de gérotranscendance est intrinsèque et libre de toute contrainte culturelle. L’enjeu est donc le développement d’une vie intérieure autonome, vivante, libre, ceci du point de vue de la personne âgée elle-même, malgré la survenue éventuelle d’une pathologie ou d’une infirmité et son intérêt, en tout cas le plus immédiat, est la limitation autant que possible de la progression des affections dégénératives.
Ici réside un nouveau paradoxe, à l’origine de tiraillements, celui d’aspirer à une liberté d’une part, et de dépendre de plus en plus des produits de la technologie d’autre part.
Ce qui ramène au contexte de notre style de vie moderne et ses particularités.
Dans nos pays, mais également et de plus en plus dans les pays dits « émergeants », une multitude de sollicitations envahit le monde des sens : publicité, écrans divers, monde virtuel, par exemple, à quoi s’ajoute la tendance à méconnaître, par inobservation, ou attention rapide et superficielle, le proche environnement.
Au niveau de la pensée, le monde professionnel fourmille de directives innombrables qui obligent à une activité résultant de la pensée autrui. Le moindre secteur de l’activité humaine est investi par des spécialistes expliquant le comment et le pourquoi de chaque chose, conduisant, à l’extrême, à faire l'économie d’une pensée propre. Ce que l'on appelle l’opinion publique est souvent la conjonction d’une série d’informations focalisées squattant notre champ perceptif et d’une réaction émotionnelle immédiate sans qu’un point de vue différent issu d'une réelle réflexion, individuelle, puisse sourdre. Penser par soi-même devient progressivement plus difficile.
Le domaine du sentiment est tout aussi soumis à toutes sortes d’agressions. La précipitation d’évènements en évènements, le besoin d'un élément stimulant, couplé à la difficulté à exprimer des sentiments profonds, sont le corollaire d’une vie du ressenti appauvrie, quand elle n’est pas vide.
L’exercice de la volonté, dans sa composante corporelle musculaire, subit la tendance de la mise au repos, notamment du fait de la réduction du travail physique très souvent posté, donc statique, devant un écran, lequel écran est tactile, réduisant encore le besoin de mobiliser un nombre important de muscles.
Face à cet état de fait, et en contrepoids d’une tendance culturelle à enfermer l’être humain dans un cercle conceptuel faisant pour toute pathologie considérer uniquement ce qui en est la cause et non ce qui permet de l’éviter ou de la limiter, les données apportées par la salutogenèse, fondée par Aaron Antonovsky (1923-1994), prennent toute leur importance. Plutôt que de se focaliser sur les facteurs pouvant être à l’origine d’un état pathologique, l’attention est invitée à se porter sur tout ce qui contribue à l’entretien d’un état de santé acceptable. Évoquons ici, entre autres contributions, celle d’Abraham Maslow pour qui la plus grande santé psychique coïncide avec la détermination de l'agir par des motifs intérieurs qui ne doivent rien aux contraintes imposées par le monde environnant. Cette plus grande santé psychique étant souvent favorisée par la culture d’une vie intérieure riche.
Mais alors, s’il est parlé de la culture d’une vie intérieure en général et chez une personne âgée en particulier, quelles peuvent en être les bases ? Sur quoi un tel processus peut s’appuyer ?
Pour commencer, loin du déni social évoqué plus haut, il est nécessaire d’accepter le vieillissement comme une réalité, un fait certain, objectif. Puis, par rapport à ce qui nous côtoie dans ce monde où nous sommes placés, et, pour quoi que ce soit, il importe de savoir manifester de l’intérêt, ce qui peut aller jusqu’à l’étonnement. Cette attitude devrait être constante. Avoir du respect pour ce que nous rencontrons. Et puis apprendre. Ne jamais considérer que nos acquisitions puissent être définitives.
D’ailleurs, si l’on parle d’apprentissage, peut-être est-il utile de remarquer que les modalités de celui-ci évoluent au cours de la vie. L'existence humaine se partage sur ce plan en trois phases successives, comme une sorte de tripartition (à comparer avec la succession des trois attitudes différentes par rapport à la vie, décrites par Lars Tornstam). De la naissance à l’âge de 21 ans environ, soit durant les trois premières septaines, l’éducation est assurée par d’autres. Pendant les trois septaines suivantes, grosso modo de 21 à 42 ans, sur la base de l’éducation reçue d’autrui, nous œuvrons dans le monde et assurons dans le même temps notre propre réalisation. Puis, à partir de l’âge approximatif de 42 ans, nous conduisons, en principe, nous-mêmes notre vie et sommes en capacité de poursuivre ou compléter notre éducation, cette fois-ci à partir de nous-mêmes, et de transmettre à autrui à partir des expériences vécues et traversées.
L’apprentissage n'est donc pas confiné aux premières années de notre existence. Mais apprendre remue notre quiétude intérieure, ne va donc pas de soi, particulièrement lorsque de nouvelles acquisitions contredisent les certitudes qui s'étaient forgées en nous et conduisent à modifier notre agir routinier. Or dépasser ses habitudes et ses automatismes, les remplacer par de nouvelles qualités, cela libère en nous des forces pour de nouvelles activités, intérieures tout d’abord, puis extérieures. Il ne s'agit pas en cela de s'engager dans un quelconque ascétisme, un cercle de contraintes artificielles qui deviendrait vite insupportable mais bien plutôt de vivre le monde de façon ouverte et d'en accueillir les expériences.
Ceci permet d’optimiser les critères pris en compte dans ce qu’on peut entendre comme un « bien vieillir », notamment la préservation des facultés intellectuelles, la conservation d’un état physique permettant l’accomplissement des tâches quotidiennes de base, l’ouverture à la vie et au monde, et la possibilité de transmettre ses acquis.
Nous avons vu plus haut que la façon de concevoir le vieillir est d’ordre culturel. Et il se pourrait bien que la plupart des pathologies attribuées à l’âge dépendent en fait pour beaucoup de notre mode de vie. Mais s’il s’agit d’aller dans cette direction, quels éléments de notre mode de vie doivent être pris en compte pour entrer dans une dynamique de prévention, voire conduire à une stabilisation, et pourquoi pas, dans certains cas, à une régression, jusqu’à un certain point, des maladies neurodégénératives ?
Considérons pour commencer l’un des supports anatomiques et physiologiques du processus de mémorisation, de cognition, d’acquisition des connaissances. Cet élément incontournable et fondamental de l’instrument corporel de la mémoire est l’hippocampe (3). Cet organe intervient dans la formation de la mémoire spatiale et temporelle, et joue un rôle clé dans les processus d’apprentissage, ainsi que dans l’acquisition de nos compétences culturelles.
La grande variété des éléments perceptifs et cognitifs à enregistrer, gérer et fixer s’ajoutant continuellement tout au long de la vie, l’hippocampe est, de ce fait, en croissance continuelle (neurogenèse). C’est (presque) le seul lieu du cerveau où les neurones se multiplient tout au long de l’existence. C’est dire l’importance que requiert la protection de cette « neurogenèse » et donc, par voie de conséquence, la connaissance des facteurs qui l’altèrent et de ceux qui la favorisent.
Les facteurs perturbant la neurogenèse de l'hippocampe sont bien connus :
D'une façon générale, ces facteurs perturbants résultent de la distorsion entre nos besoins naturels et notre mode de vie moderne.
Avant d’explorer les cinq facteurs signalés ci-dessus, voyons comment il est possible de favoriser la fonction de cet élément central qu'est la mémoire, de l’entretenir, la conserver, la nourrir, en l’exerçant.
Il existe de nombreux exemples d’optimisation de la mémoire faisant appel à un entraînement spécifique.
Il s’agit pour la plupart de jeux à exercice intellectuel, de programmes d’entretien de la mémoire à partir de divers supports, dont certains se trouvent en ligne sur internet. En dehors de ces jeux à exercice intellectuel, d’autres types d’activité qui peuvent sembler incongrus, ont également pour but de renforcer les processus mémoriels.
Parmi ces exercices, conseillés, en son temps, par Rudolf Steiner, il y a celui consistant à apprendre par cœur un court poème, et se le réciter ... à l’envers. Un autre exercice favorise particulièrement la continuité de l’attention dans l’action. Il repose sur le fait de déplacer un objet avant le coucher (éviter de choisir de déplacer le réfrigérateur ou la machine à laver la vaisselle !), de laisser passer la nuit, et le matin, dès le lever, penser à le remettre à sa place habituelle. Il y a, pour terminer, cet exercice bien connu, appelé « rétrospection », qui, l’heure du coucher approchant, fait repasser en soi la journée écoulée, en la déroulant à l’envers, jusqu’au moment du lever. L’avantage supplémentaire de ce dernier exercice est de favoriser une meilleure qualité de sommeil.
La question du sommeil est inséparable de celle des rythmes. Ceux-ci nous portent en permanence et le rythme veille/sommeil en est l’un des plus marquants. Nous avons vu que le manque de sommeil est un élément perturbateur de la neurogenèse de l’hippocampe. Ceci indique l’importance d’un sommeil d’une durée suffisante et de bonne qualité.
Or dans nos sociétés modernes, nous avons progressivement rogné le nombre d’heures passées à dormir. Celui-ci est actuellement de moins de sept, voire de six heures, alors qu’avant l’utilisation de l’électricité, il y a un siècle, il était d'au moins neuf heures ! Il a d’ailleurs été estimé que le besoin naturel de notre organisme s’élève à neuf – dix heures de sommeil ! Évidemment, d’une part ce nombre d’heures varie en fonction de multiples facteurs, dont l’âge, et d’autre part, rares sont les personnes ayant la possibilité de satisfaire à un sommeil de cette durée. Par ailleurs, il est facile de constater que chaque individu porte en lui ses propres rythmes. Le tout est d’y être attentif et de savoir les respecter.
Pourquoi un tel intérêt pour la durée et la qualité du sommeil ? Lors du sommeil profond, les données engrangées au cours de la journée par l’hippocampe sont transmises aux aires corticales auxquelles est attribuée la gestion de la mémoire à long terme. Ce qui signifie que toute altération de ce sommeil aura un retentissement à plus ou moins long terme sur la fonction mémorielle. De plus, les troubles chroniques du sommeil entraînent une réduction de la neurogenèse qui se traduit par une taille bien plus réduite de l’hippocampe.
D’une manière générale, il a été noté qu’un manque de sommeil devenant chronique favorise le risque de déclencher prématurément des maladies liées à l’âge telles qu'un diabète, une hypertension artérielle, une obésité, des troubles de la mémoire.
La qualité d’un bon sommeil commence par l'attention portée à l’heure du coucher, qui ne doit pas être trop tardive. À ce sujet, il est remarquable de constater que les centenaires possédant une bonne vitalité sont tous des couche-tôt.
Certaines personnes apprécient de lire avant de s’endormir Dans ce cas, mieux vaut se plonger dans la lecture des discours de l’assemblée nationale, qui constituent en soi un bon soporifique, plutôt que dans un suspense ou un récit perturbant. Les liseuses électroniques, quant à elles, sont à déconseiller lorsqu’elles émettent cette lumière bleue nuisible aux rétines. De même, l’usage des écrans en général, ordinateurs, smartphones, TV, devrait rester sobre avant d’aller au lit.
Mais la qualité d’un sommeil ne se cultive pas uniquement à l’approche du lit. Une activité physique suffisante (sans être excessive) dans la journée, l’exposition au grand air et au soleil, entraînent aussi une qualité de sommeil bien meilleure.
Qu’en est-il de la sieste, qu’en penser ? Plutôt du bien si l’on en croit les études menées sur le sujet. En effet, le temps de repos post-prandial, rarement respecté, sauf dans certaines contrées, est inscrit dans la physiologie humaine. Ses avantages sont multiples puisqu’après cette pause, il a été constaté une augmentation de la concentration, des performances intellectuelles, des capacités d’apprentissage, des facultés de mémorisation, et une diminution du stress. Ceci n’est toutefois pas une raison pour passer l’après-midi à dormir, ce qui serait bien au contraire contre-productif. La durée maximale d’une sieste ne devrait pas excéder trente minutes.
Après le sommeil intéressons-nous au rôle de l’activité physique. Tout mouvement génère de nouvelles expériences. L’exercice de la mobilité entraine une augmentation de la capacité à mémoriser et s’accompagne d’une activation de la neurogenèse et de la croissance de l’hippocampe.
Tout effort physique s’accompagne d’une consommation d’oxygène par les muscles, d’une diminution d'oxygène dans le sang, de sécrétion d”EPO (4) (prisé il y a quelque temps par certains coureurs cyclistes) par les reins, de VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) qui augmente la transfusion des tissus par le sang et envoie une impulsion de croissance à l’hippocampe.
Mais surtout, l’activité physique donne une meilleure résistance au stress, améliore le taux de cholestérol, optimise le fonctionnement du système cardio-vasculaire, diminue la tension artérielle, et génère une meilleure qualité de sommeil, ce qui a déjà été signalé plus haut. Et, conséquence indirecte, cette activité physique favorise la neurogenèse de l’hippocampe.
Pour cela, l’activité physique doit être régulière, avec une préférence pour des mouvements nécessitant un vécu conscient et de la concentration. Par exemple une tâche manuelle demandant de l’attention et une certaine dextérité. Elle doit également être effectuée dans l'enthousiasme. Cette activité physique régulière permet un entretien de la mobilité de la pensée, et participe au maintien d’une bonne mémoire.
Il est facile de comprendre, à la lecture de ce qui précède, combien il faut se méfier de la passivité physique que permet le progrès technologique.
Venons-en à l’alimentation. Les règles ici tiennent pour beaucoup du bon sens. Une alimentation adéquate évitera, autant que faire se peut, les boissons sucrées, les aliments riches en sucre (surtout si raffiné), les aliments à base de farine blanche, mais aussi, et l’on y pense moins, les rations alimentaires trop importantes par rapport aux activités physiques, les plats industriels, une alimentation trop riche, la viande en excès, le sel en trop grande quantité.
Si l'on prend l’exemple du sucre, on sait qu’il entraîne une sécrétion d’insuline qui l’aide à pénétrer dans la cellule et à participer à divers processus métaboliques, ce qui est normal. Mais s’il y a un excès dc consommation de sucre et que cet excès est permanent, la sécrétion d'insuline est perturbée et s’installe un phénomène de résistance à l’insuline des processus métaboliques débordés par l’apport exagéré de sucre. Cette résistance à l’insuline entraîne à son tour une diminution, voire un manque de glucose (c’est-à-dire de sucre) dans les cellules nerveuses, en particulier de l’hippocampe. De là découle un trouble du métabolisme neuronal et la mort cellulaire qui en est l’aboutissement.
De plus, on ne peut que constater qu’avec l’âge l’organisme se transforme progressivement en « caisse d’épargne » et stocke plus facilement de la graisse, conséquence d’une disproportion entre apports alimentaires et activité physique. Mieux vaut donc rechercher une alimentation moins « chargée », diversifiée, de saison, de proximité, si possible bio ou biodynamique.
Pour terminer sur ce chapitre, pourquoi ne pas prendre l’habitude de respecter un jeûne de douze heures entre deux prises alimentaires, par exemple le dîner et le petit-déjeuner du lendemain matin ? Cela favorise une activité neurosensorielle en général, qui ne peut que faire du bien à l’hippocampe en particulier.
Un facteur d'importance est celui joué par le stress chronique.
On sait que l’augmentation du taux de cortisol généré par un stress aigu permet l’optimisation des processus de réponse au stress.
On sait également qu'un stress chronique est à l’origine d’une augmentation constante de cortisol, d’où découlent, entre autres, un affaiblissement de l'immunité, une diminution des performances physiques, des troubles relationnels dominés par une irritabilité, un sommeil perturbé, une fatigue persistante accompagnée d’une diminution de l’attention, donc des performances intellectuelles, ainsi qu'une diminution de la mémoire. Par ailleurs, cela conduit à une accumulation de peptide béta-amyloïde dont l’agrégation devient toxique pour le neurone.
Mais comment lutter contre ces effets délétères ? Et en fin de compte, comment lutter contre le stress chronique ?
De multiples voies proposent aides et solutions. Les plus intéressantes font appel au développement d’une vie intérieure autonome, vivante et libre. Ce cheminement intérieur doit pouvoir se pratiquer malgré une pathologie existante ou une infirmité. À cela devrait s’ajouter, pour compléter utilement le processus, une activité physique adaptée. Le grand intérêt d’un tel travail intérieur, si on l’ajoute aux données précédentes, est de limiter la progression des affections dégénératives.
Si l’on s'en tient aux conséquences physiques d’une activité intérieure, il a été remarqué que l’entretien et la réparation des télomères (5), constituant les extrémités de ces brins d’ADN qu’on appelle chromosomes, sont assurés par une enzyme particulière, la télomérase, et que lorsque cette enzyme, qui protège donc les chromosomes d’une dégradation, diminue excessivement ou disparaît, la cellule subit un processus de vieillissement, sa division devient impossible, elle meurt rapidement.
Or le taux de télomérase est dépendant pour une bonne partie de la qualité de notre état intérieur. On aura compris qu’un stress chronique altère et diminue la production de cette enzyme et qu’au contraire, des activités telles que la relaxation, la méditation, en optimise la concentration. À terme, cela aboutit à un processus de vieillissement retardé.
Le chemin à emprunter pourrait être celui qui conjuguerait une alternance rythmique d'activités tournées vers l’extérieur et d’autres tournées vers sa propre intériorité, la conservation d’un intérêt vrai pour le monde, et la pratique d'une activité artistique.
Ces quelques éléments sont autant d'apports pour la composition d’un mode de vie profitable à tout un chacun, mais particulièrement à une personne âgée. Ils n'évitent pas forcément les désagréments liés à l’âge mais permettent de les limiter, même lorsque se manifeste une altération du corps, ou que survient un accident de santé quelconque.
Que ce soit dans le domaine spécifique de l'entretien de la mémoire, du respect de ses propres rythmes, notamment dans l’alternance activité/ repos, de la pratique d’une activité physique maîtrisée, de la qualité de notre alimentation, du souci apporté au développement du centre de notre être, c'est dans l’individualité propre qu’il faut chercher les ressources qui vont contribuer au maintien d’un état de santé ou au retour vers celui-ci.
Dans la deuxième partie de cet article il a été surtout question des incidences physiques et physiologiques de certaines de nos habitudes de vie. Qu’on n’aille pas penser que ce soit le but exclusif de nos existences que de maintenir coûte que coûte un corps en parfaite santé. Il s`agit seulement d'entretenir cet instrument de l’âme en lui permettant d’accueillir, même à l’automne de sa vie, une activité qui puisse résulter du lien de notre propre individualité avec ce corps. D’ailleurs la prise en compte de ces éléments dans un mode de vie a d'autres résonnances et conséquences que sur la seule santé de l’hippocampe. Leur intérêt réside dans les bienfaits que cela entraîne dans la sphère psychique par exemple, ce qui va dans le sens de cette gérotranscendance dont il a été question dans la première partie.
Il s’agit de se donner les moyens, et ceux décrits ici sont naturels, relativement aisés à mettre en place, permettant à un corps vieillissant d’être le compagnon d’une existence humaine, chaleureuse et authentiquement vivante, et d’être acteur, si possible jusqu’au bout, en soi et dans le monde.
(1) À l’heure actuelle, un individu est considéré comme étant « âgé » lorsqu’il a atteint et dépassé 65 années d’existence.
(2) Si l`on prend en compte l’espérance de vie à la naissance, celle-ci est passée, en France métropolitaine, de 65,2 ans en l946 à 85,3 ans en 2017 pour les femmes et de 59,9 à 79,5 ans sur la même période pour les hommes (Source INSEE).
(3) Hippocampe : il s’y fait l’expérience de ce qui est connu et de ce qui est nouveau. C’est un organe très fragile. Mais c’est aussi le seul tissu cérébral capable de se régénérer et même de s'accroître. C’est la zone de contact entre le tissu cérébral et le «Je » agissant dans la conscience. Toute son organisation agit de concert avec les amygdales (structures cérébrales toutes proches). L’hippocampe joue un rôle majeur dans la constitution de la mémoire dite « épisodique », et dans celle de la mémoire à court terme. La mémoire épisodique désigne le processus par lequel on se souvient des évènements vécus avec leur contexte (date, lieu, état émotionnel).
(4) Érythropoïétine (EPO) : hormone sécrétée principalement par le rein. Stimule la production de globules rouges. Toute diminution d`oxygène dans le sang entraîne sa sécrétion.
(5) Télomère : situés à l’extrémité de chaque chromosome les télomères sont constitués d’ADN sans fonction codante. Leur rôle est de protéger les chromosomes sur lesquels ils se trouvent. Avec l’âge, ils raccourcissent et deviennent de moins en moins performants. La télomérase est une enzyme permettant de réparer et reconstituer les télomères lors de chaque division cellulaire, en particulier pour les cellules souches et germinales. Il semblerait que le taux de télomérase agissant contre la dégradation chromosomique des cellules dépende en partie de la qualité de l’activité intérieure déployée.
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Ces dernières références peuvent se découvrir sur le site : Lars Tornstam's research works/uppsala university.